Serge

Ma CAN 2015 sans langue de bois

Suspendons un moment le débat sur Boko Haram et attaquons-nous un instant à la CAN 2015. La compétition phare de Issa Hayatou et Constant Omari (le Congolais). Sincèrement, les années passent et les mêmes choses se répètent, la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) est une déception en termes d’organisation et révèle la fragilité managériale des dirigeants de la CAF.

Qui signe les accords relatifs à la diffusion de cette compétition? Qui négocie avec les chaînes? Quelles sont les clauses contractuelles? Je ne sais pas si en définitive, la CAN est destinée à un public résidant exclusivement en Afrique. Je ne sais pas non plus si les organisateurs estiment que le continent américain ne mérite pas une large diffusion. Les Anglais, eux, n’hésitent pas à vendre leur Premier League aux Esquimaux…

En revanche, je sais qu’en Amérique latine, cette compétition n’a aucune valeur marchande. Le samedi de l’ouverture de cette CAN, aucune chaîne gratuite au Brésil ne diffusait l’événement. Quant aux chaînes privées, elles ne passeront que les images du premier match, celle de la Guinée équatoriale. Avec tout le respect que je dois à ce pays, on s’en fout de leur match !

Une seule chaîne ayant acheté tous les droits de cette compétition, elle se permet de diffuser quand elle l’entend des matchs choisis, me semble-t-il, sur le « critère de l’audience supposée ».

Tenez, un exemple. Le premier match de la RD Congo contre la Zambie n’est jamais passé. Par contre, hier mardi 20 janvier, tous les matchs sont passés à la télévision, c’est la chaîne câblée Sport TV 2 (du groupe Rede Globo) qui en détient les droits. On les comprend. Il vaut mieux diffuser un « Mali-Cameroun » qu’un « Zambie-RDC ».

Et là où je condamne doublement la CAF, c’est évidemment l’élaboration du calendrier de cette CAN. Personnellement, je n’ai pas regardé le match entre la Zambie et la RD Congo, bien que j’aurais pu le faire sur Internet. Excusez-moi, mais lorsqu’un « si petit match » est mis en concurrence avec Manchester City- Arsenal, il n’y a pas photo.

Je ne doute pas qu’en Europe, en Asie ou ailleurs les gens aient préféré regarder le derbis anglais plutôt que cette « rencontre inédite » entre la Zambie et la RD Congo.

Le football n’est pas qu’une question de patriotisme. C’est une belle foutaise sur laquelle monsieur Issa Hayatou et sa CAN continuent de miser. Nous vivons à l’ère du football spectacle. J’ai observé les journalistes français que je suis sur Twitter, aucun ne commente la CAN sauf les exotiques tel que Hervé Penot… Ils préfèrent twitter sur un tout aussi indigeste Nantes-Olympique Lyonnais.

Mais même là, la CAN reste une purge en comparaison. Jusque-là, seule l’Algérie a réussi à marquer 3 buts. La moyenne générale étant désastreuse. Les gros couteaux de la compétition proposent un jeu triste et sans imagination. Les Camerounais ne me démentiront pas, moins encore les Ivoiriens.

Si même les Asiatiques marquent plus de buts que nous, comme l’observe un journaliste de ESPN Brasil, je ne vois pas ce qui pourrait nous sauver…

Aucun match nul en Coupe d’Asie, à la CAN, cinq nuls lors de la première journée.

D’ailleurs, je voudrais bien comprendre à quoi joue Yaya Touré. Le meilleur joueur africain des quatre dernières années n’arrive pas à répondre aux attentes sur le terrain, ne faisant clairement pas le poids médiatiquement même quand il faut rivaliser avec la Coupe de France. Je rêve…

Les problèmes de cette CAN 2015 ne s’arrêtent pas là. Que dire des difficultés techniques qui révèlent l’état primitif de nos chaînes de télévision africaines. Lors du match « Ghana-Sénégal », il aura fallu trois minutes pour revoir le but des Lions de la Teranga. Trois minutes à la télévision, c’est une éternité. J’ai lâché… 

Les journalistes brésiliens devant en plus s’excuser auprès de leurs téléspectateurs pour ces « défaillances techniques »…

En plus, un tel retard pour montrer un ralenti rend impossible les commentaires sur les réseaux sociaux où l’on a vu que cette CAN pouvait gagner une vie propre et originale. Sur Twitter au moins, on ne s’ennuie pas

En attendant mon commentaire sur les nommés aux Oscars 2015, je vous propose un joli tweet de ma collègue Fatouma Harber dont on connaît l’amour absolu pour le « Timbuktu » de Sissako


Boko Haram : une histoire comme une autre en Afrique

En 1996, j’ai entendu pour la première fois le son d’une kalachnikov. J’avais 10 ans. A l’époque ma famille vivait dans une grande maison en étage dans la commune de Ngaliema à Kinshasa. Mon père était alors cadre dans l’une des plus importantes entreprises d’Etat dans l’ancien Zaïre qui allait bientôt s’appeler République démocratique du Congo. L. D. Kabila venait de renverser Mobutu. Mais, dans un dernier sursaut de vanité, quelques militaires essayaient de résister à l’inévitable chute du régime de Mobutu.

Je me souviens vaguement de cette époque, sinon que pendant au moins cinq jours, toute ma famille était cachée dans l’un des couloirs que comptait la maison. Il fallait à tout prix se mettre entre deux ou trois murs pour éviter les balles perdues. Pendant toute la semaine, nous étions donc allongés sur le sol : femmes, enfants, filles et garçons, une tante, ma belle-mère, et des cousins… mon père était le seul qui osait se lever. Probablement qu’étant le seul homme de la maison, il éprouvait le besoin de se montrer vaillant et courageux.

Pas question non plus d’aller acheter des vivres. Pendant toute cette semaine, nous nous sommes alimentés de riz et de l’huile de palme. C’était en 1996.

Dans de telles conditions, on ne sait jamais si notre vie s’arrêtera dans une ou deux semaines. Tout ce que je savais à cet âge-là, c’est que les rebelles venaient de l’est du pays, du Kivu (la province de mes parents), une région que j’avais visitée une année auparavant, car papa tenait à ce que nous connaissions nos grands-parents. On se disait donc que peut-être qu’avec l’arrivée de ces nouveaux hommes forts du pays, nous serions épargnés. Après tout, ils étaient swahiliphones.

Je me souviens aussi qu’au Kivu, j’avais rencontré pour la première fois la petite soeur de mon père, c’était sa meilleure amie aussi. Son mari était un homme plutôt riche qui travaillait également pour le gouvernement. Pendant que les « troubles » de l’AFDL commençaient, il avait décidé d’envoyer sa femme et ses enfants auprès de mon père à Kinshasa pensant que la rébellion n’arriverait jamais à la capitale.

Un an plus tard, il fut assassiné sur la route de l’aéroport de Bukavu alors qu’il essayait de rejoindre sa famille à Kinshasa. C’est cette tante qui était couchée avec nous dans ce petit couloir de notre maison de Ngaliema…

Enfin, la « semaine de la libération » passa. La vie devait continuer comme souvent en Afrique. Peu après cela, nous avions déménagé dans une nouvelle maison que mon père avait construite dans un quartier plus tranquille. Le pays se transformait, tout doucement, au rythme du kabilisme et de sa chasse aux sorcières.

C’est ainsi qu’un beau matin, je vis débarquer chez nous une famille entière dont le père fuyait les représailles du nouveau régime puisqu’il avait soi-disant collaboré avec le régime de Mobutu. Cette famille de sept personnes s’était réfugiée chez nous. Je me souviens être tombé amoureux de la cadette des filles, Joëlle… elle était très belle et j’aimais faire les courses avec elle.

Ils passèrent un mois à la maison, puis s’en allèrent. Je me souviendrai toujours des larmes qui coulaient sur le visage de Joëlle alors que la voiture qui l’emmenait s’éloignait lentement. Elle me regardait par le rétroviseur. Quelques mois plus tard, son père décédait, puis sa mère. J’étais trop jeune pour aller à l’enterrement. J’ai revu Joëlle une seule fois, près de dix ans après; exactement une semaine avant de venir vivre au Brésil, puis j’ai perdu sa trace. Elle avait changé. Elle n’était plus la petite fille toute joyeuse que j’avais connue même si sa beauté était restée intacte. Elle venait d’avoir un enfant avec un homme qu’elle n’aimait pas. La mort faisait désormais partie d’elle. J’espère la revoir un jour.

Les années ont vite passé. Peu après la proclamation des résultats de l’élection présidentielle de 2006, j’étais en troisième année de journalisme dans l’une des meilleures écoles du pays. Je me souviendrai toujours de cette folle journée où j’ai vu pour la première fois le visage de la mort.

Jean-Pierre Bemba, le perdant de cette élection face à Joseph Kabila, n’avait pas accepté les résultats et dénonçait une fraude électorale. Je ne me rappelle pas exactement le jour ni la date, mais je sais qu’il devait être entre 11 heures et 14 heures. Je marchais tranquillement dans le centre-ville de Kinshasa à Gombe lorsque j’aperçus des hommes en jupes fabriquées en raphia, bandanas rouges attachés sur le front, les yeux rouges comme s’ils avaient consommé une drogue très puissante, ils chantaient et dansaient tenant à leurs mains des fusils kalachnikov et aussi des lance-roquettes… une scène horrible. Ce n’était pas des hommes.

Ces hommes-là ressemblaient à l’image qu’on a aujourd’hui d’un terroriste de Boko Haram. Je les voyais dans la capitale et me demandais d’où ils pouvaient bien venir. On nous apprendra plus tard que Bemba avait un petit camp militaire près de sa résidence de Gombe

Face à cette scène horrible, chacun comprenait que quelque chose de grave allait se produire. Je me précipitai dans un taxi qui allait en direction de mon quartier. A peine,  avions-nous parcouru quatre ou cinq kilomètres que les coups de feu retentirent… c’était le début de la folle semaine qui a connu des affrontement entre les forces gouvernementales et les troupes de Bemba dans la ville de Kinshasa.

Si je n’avais pas un peu d’argent sur moi, et si j’avais hésité cinq secondes à prendre un taxi, je serais probablement mort. Cette semaine, ma tante la passa dans l’immeuble de la Banque centrale du Congo. Elle n’avait pas su que les troupes de Bemba étaient dans la rue et à l’époque les téléphones portables et Internet n’étaient pas accessibles à tous pour relayer les informations urgentes.

Si j’ai raconté cette histoire, c’est pour vous dire comment on vit en Afrique. On est habitué à la violence. Elle peut aussi nous surprendre comme en cette après-midi que je viens de vous décrire, mais elle ne nous est pas étrangère.

Aujourd’hui le Nigeria affronte Boko Haram dans l’indifférence mondiale, et même l’indifférence des propres Africains. Mais si les Africains semblent ne pas s’indigner « comme il faut » face à ces massacres, c’est probablement parce qu’ils sont habitués à en voir tous les jours. Quant à ceux qui vivent à l’étranger, ils savent que cela ne changera pas.

Le Cameroun vit dans la crainte et la tension d’une explosion imminente, mais les Camerounais ne réagissent pas. Pourquoi ? Parce qu’ils savent inconsciemment que des appels à l’aide n’y changeront rien. L’histoire est déjà en marche et on ne l’arrêtera pas.

Il y a quelques années, avant les élections de 2006 en RDC, j’avais demandé à ma tante dont le mari avait été tué par les forces kabilistes pour la libération du Congo, pour qui elle voterait. Elle m’avait répondu qu’aucun des candidats ne ramènerait son mari à la vie. J’ai voulu lui répondre, « vote pour l’avenir de tes enfants alors », mais je n’en ai pas eu la force.

C’est ça l’Afrique. Les dirigeants se succèdent et le peuple continue de mourir. Ceux qui survivent ne pensent qu’à immigrer en Occident pendant qu’il est encore temps, car il y a un âge pour tout. Il y a un  âge pour survivre, il y a un âge pour immigrer et un âge pour mourir… il ne faut pas perdre le train de la vie.

C’est pour toutes ces raisons-là et pour d’autres que les Africains n’ont pas le temps de s’indigner face à l’horreur Boko Haram.

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P.S: Je commence ma septième année au Brésil et j’ai l’impression d’avoir perdu mon pays… Bonne année à tous !


Lettre aux “Charlie” ou de l’indignation sélective et raciste

#JeSuisCharlie, qui oserait affirmer le contraire? Voilà à quoi se réduit aujourd’hui la liberté d’expression, ce gros mot qui fait défiler sous une même bannière Benyamin Netanyahu, Mahmoud Abbas, Nicolas Sarkozy, Angela Merkel, Ali Bongo – le prince de Bel Air – , Boni Yayi, Manuel Valls, François Hollande – #MoiPrésident – , David Cameron, Mariano Rojoy, l’infâme néofranquiste et bien d’autres « héros » du monde libre.

Dimanche 11 janvier 2015, le jour où la démocratie représentative est morte sous les applaudissements du peuple, fou comme souvent, qui se précipite à son propre enterrement. Qu’ils ne disent pas qu’on ne les aura pas prévenus. Horrible journée que ce dimanche où toute parole contraire à la vérité #JeSuisCharlie était censurée.

C’est T.W. Adorno qui disait que les unanimités sont dangereuses. C’est surtout qu’elles deviennent vite de l’ animisme unanimisme. Cette « grande célébration républicaine » m’a rappelé les marches brésiliennes en 2013. On a vu comment elles se sont transformées en de gigantesques manifestations fascistes.

L’émotion humaine célébrée à coups de slogans qui ne bénéficient qu’au capitalisme financier. #JeSuisCharlie, slogan créé par je ne sais quel publicitaire (ou magicien), sûrement un de la même veine que l’inventeur du tout aussi criard #WeAreAllMonkeys . Les dirigeants de Twitter se frottent les mains. Cette fois là déjà, j’ai été crucifié pour avoir dénoncé une mascarade. Mais je préfère être du bon côté de l’histoire… toujours.

Comment je le sais? Il me suffit de voir cette photo horrible où l’on voit Hollande, Merkel, Renzi, Cameron, Netanyahu et autres Sarkozy défiler au nom des libertés qu’ils assassinent.

Où est donc Hollande quand il faut défendre Edward Snowden?

Non, la France ne trouve rien de mieux à faire que d’interdire son espace aérien au président Evo Morales, démocratiquement élu en Bolivie. Tout cela au nom de la liberté. Liberté d’expression, vous dites?

Où était l’ONU pour qualifier cet acte de tentative d’assassinat, car la vie d’un président librement élu fut mise en danger.

Un ami m’a fait remarquer que je confondais deux choses: la liberté d’expression et la liberté de s’exprimer. Tout comme le #JeSuisCharlie que les médias français célèbrent comme l’un des hashtags les plus populaires de l’histoire de Twitter – quelle indécence que de penser aux records du Guiness Book pendant que des familles pleurent leurs morts –, la liberté d’expression n’est qu’un slogan.

Ceux qui essayent de passer à l’acte meurent.

C’est la triste réalité d’un monde qui ne respire plus que par l’ivresse des records sur Twitter. Je le rappelle, dans son livre Distant Suffering, Luc Boltanski identifie le baromètre de notre époque.  Mais, dans ce beau diagnostic  de la modernité médiatique, il manquait d’y inclure les réseaux sociaux.

Il semble qu’aujourd’hui, la cohérence soit la chose la plus difficile à obtenir des hommes.

On n’oubliera pas non plus ces chefs d’Etat africains complices de l’indignation sélective qui gouverne l’Occident, s’envolant pour Paris alors qu’une fillette de 10 ans était obligée par Boko Haram à perpétrer un attentat tuant 20 personnes. Non, n’oublions pas.

Ces gens-là, tués par une bombe attachée à la poitrine d’une fillette de 10 ans ne sont pas des “Charlie”. Ils sont juste nigérians et noirs.

Je ne parlerai pas du Kivu, ni de Béni, c’en est lassant.

Disons aussi en leur faveur que ce n’est pas à l’Occident de s’indigner pour nos morts. Mais quand ce sont leurs armes et leurs entreprises qui sèment la mort dans nos pays, nous sommes en droit de demander qu’on nous rende des comptes.

Chers “Charlie” de tout bord, laissez-moi vous dire une vérité que toute personne de ma génération vous confirmera. Des coups de feu dans nos capitales, on les a tous entendus des centaines de fois. Alors permettez-nous de ne pas penser que vos morts sont plus importants que les nôtres. On vous le demande humblement. Ils sont tous des victimes. Cet éditorialiste du New Yorker l’explique mieux que moi. On connait bien le son des AK44…

En vérité, j’ai osé dire que je n’étais pas Charlie, et la dictature de la pensée unique a vite fait de m’envoyer “vallser” dans les cordes: “Nique ta mère!”, “Je te hais” et j’en passe.

Je l’ai dit ailleurs, l’extrémisme de gauche a beaucoup de points communs avec l’extrémisme de droite.

Si ma mère n’était pas décédée depuis 1994, je l’aurai niquée volontiers et votre liberté d’expression avec…

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P.S : dimanche 11 janvier 2015, stop. Paris, stop. Bal tragique, stop. Bilan, 1, 5 millions de cons, stop.

 


Charlie Hebdo et le « spectacle »

Nous avons tous été indignés par l’image atroce de ce policier lâchement abattu par un homme cagoulé dans une rue de Paris. Personnellement, j’ai vu ces images au réveil encore dans mon lit. Imaginez ce que c’est que de commencer une journée par un tel spectacle. Ensuite, nous avons tous été emportés par un tourbillon d’émotions exprimées notamment sur les réseaux sociaux. Bref, nous sommes bien des hommes de notre époque…

Je lis depuis quelques jours l’indignation de quelques amis africains, la majorité de mes amis à vrai dire, indignés par « l’hypocrisie des occidentaux et des blancs ». « On s’indigne parce que 12 personnes ont été assassinées sur Paris pendant que les mêmes médias sont restés indifférents aux nouveaux massacres de Béni en RDC en fin de 2014″, s’indignent-ils. Je les comprends aussi.

Mais, j’essaye aussi de comprendre le pourquoi de cette mobilisation médiatique capturée par les réseaux sociaux Facebook et Twitter. Aujourd’hui, il semble de plus en plus évident que la valeur d’un évènement n’est plus mesurée que par sa répercussion sur les réseaux sociaux Facebbok et Twitter. Triste époque.

Le jeu pervers du Buzz divise, indigne et détourne l’attention sur ce qui importe vraiment: c’est à dire, la violence qui nous entoure un peu partout.

J’ai retenu quelques éléments que peut-être certains d’entre vous contesteront, mais je donne mon opinion d’observateur et de chercheur qui s’occupe de « ces choses de la vie » que nous appellons les sciences humaines…

« C’est un attentat terroriste, il n’y a pas de doute »

1. Premièrement, la réaction de François Hollande sur le lieu du crime m’a frappé. Car pendant le deuxième semestre de 2014 j’ai donné un cours en tant que professeur assistant sur les mouvements sociaux et les réseaux sociaux. L’un de nos thèmes de travail portait sur le concept Frame, d’abord utilisé par les sociologues américains.

Cela veut dire en gros un « cadre d’interprétation ». C’est la façon dont on définit un événement dans le but – très souvent – de lui donner une portée politique ou du moins d’en orienter le sens dans les médias.

J’ai donc été perturbé en écoutant François Hollande qualifier ce crime barbare d' »attentat terroriste », comme si un attentat se définissait par décret présidentiel:

Plusieurs attentats terroristes avaient été déjoués ces dernières semaines. Nous sommes un pays menacé. C’est un attentat terroriste, il n’y a pas de doute

Pour moi, c’était la matérialisation de quelque chose que j’abordais avec des étudiants quelques semaines plus tôt.

Tout est image ou rien du tout

2. Deuxièmement, c’est la violence de l’acte en soit qui m’a interpellé. Et pour me comprendre, il faut bien savoir que les images ont une force dix fois supérieure à celle des mots. Les plus vieilles théories de la communication le disent: « les médias fonctionnent comme un piqûre hypodermique« .

Voir un homme masqué tirer sur un policier blessé comme écraserait une mouche, puis s’en aller sans regarder derrière, n’est pas quelque chose que l’on voit tous les jours. Il y a un côté spectaculaire dans cette vidéo qui a vite circulé sur les résaux sociaux. Personne (je dis bien personne) ne peut rester indifférent face à une telle barbarie. Et l’unique réaction possible face à une telle image, c’est la colère et la mobilisation immédiate des masses. Y compris la mobilisation de nos émotions.

Je me suis dit après qu’on avait d’ailleurs eu de la « chance » que personne n’ait filmé le carnage dans la rédaction.

Nous vivons malheureusement à une époque de la surenchère imagétique. Si mes amis africains s’indignent face à ce traitement partiel de « Charlie Hebdo », c’est qu’ils n’ont pas compris (comme beaucoup d’ailleurs) l’enjeu politique de l’image.

C’est la société du spectacle que décrivait Guy Debord. Rien n’est blanc ou noir ici, bleu ou rose. Tout est image ou rien du tout.

Dans ce contexte, la violence se situe sur deux niveaux. Elle est d’abord physique et matérielle: c’est le carnage de Charlie Hebdo. Elle est ensuite symbolique et n’épargne personne: c’est le traitement spectaculaire de l’affaire.

La répercussion sur les réseaux sociaux et les télévisions mondiales génère un « sentiment du deux poids deux mesures » et l’indignation chez les « autres victimes ». Les victimes camerounaises et nigériannes de Boko Haram, les victimes conglaises dans le Kivu – des millions de morts oubliés. J’y ai ma propre famille.

Ce n’est pas une question de couleur de peau ou de race. Il s’agit juste de savoir qui tient un smartphone à sa main et où? Et souvent, c’est la position économique qui définit ses choses là.

C’est aussi là, la grande leçon de Charlie Hebdo.


Une femme divorcée peut-elle faire une bonne présidente?

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Dilma Rousseff et sa fille en janvier 2015 – crédit photo: Banque d’images de la chambre de Députés | Facebook officiel de la présidente Dilma Rousseff

Cette année commence déjà d’une manière très stimulante. Je me suis réveillé un peu tard à cause de mes vacances prolongées jusqu’en mars. Comme d’habitude, une amie a pris le soin de me laisser un lien de blog pour égayer ma journée. Les blogueurs camerounais étaient à l’ordre du jour. Ensuite, en faisant la revue de ma time line pour savoir ce que j’avais manqué pendant mes 6 heures de sommeil (ô miracle !), je tombe sur un autre lien de blog, cette fois-ci, on m’emmène au Togo où les liens conjugaux sont disséqués par e-mails interposés: joli !

Je me souvenais parfaitement de l’article du blogueur Aphtal Cissé qui a motivé la réponse d’une mystérieuse lectrice dont on ne saura que quelques informations: elle est « divorcée, a trois enfants, travaille pour une banque et est aussi gérante d’une société qui fait dans l’importation des produits alimentaires ». Voilà pour le CV…

Déjà je félicite la ténacité et le courage de cette mystérieuse femme dont certains propos m’ont vraiment marqué, même si par moment je n’était pas tout à fait d’accord avec elle. Et d’ailleurs cela m’a inspiré ce billet.

Prenons cette citation:

l’une des décisions les plus importantes, les plus douloureuses, et les plus salvatrices qu’une femme puisse prendre, est de quitter le foyer conjugal, après des années de vie commune. 

Comment ne pas être ému à la lecture de ces mots?  Non seulement ici, le mariage n’est pas érigé en fétiche, mais le divorce non plus ne prend pas un sens arrogant comme celui que l’on constate chez la plupart des féministes. Tout ici est évalué selon l’expérience personnelle d’une femme qui a autant souffert de son divorce qu’elle en a réssenti une forme d’émancipation. Chapeau !

Ensuite, elle dit ceci pensant à l’avenir de sa fille:

 Partout où elle se trouvera avec son homme, elle saura être humble et soumise, sans jamais devenir esclave d’un homme à qui on n’a pas su inculquer les valeurs de « savoir composer avec une femme. 

Pourquoi soumise? Vous me direz que je suis donneur de leçons, soit. Mais si ce n’est un argument religieux, je ne vois pas ce qui motive la présence de cet adjectif au milieu d’une si belle phrase… ok, j’avoue, j’aime moi-même les femmes soumises, d’une certaine manière. Je suis africain quoi…

Ensuite, il y a cette citation qui me rappelle que le débat d’Aphtal et de sa mystérieuse lectrice s’ancre dans un schéma culturel déterminé:

Combien d’hommes ont jamais aidé des femmes à se réaliser ? Combien d’hommes se sont-ils sacrifiés pour la scolarisation, la formation continue, la remise à niveau, le progrès professionnel de leurs épouses ? 

Eh bien, pas si loin que ça, je connais un exemple. Même si un exemple ne peut définir la règle. Mais il existe bien cette méthode scientifique qui consiste à partir du particulier pour en déduire une généralité… soit.

Ma prof a un doctorat qu’elle a obtenu au bout de quatre années vécues en Angleterre avec son mari. Celui-ci a dû tout abandonner pour aider son épouse à réaliser son rêve. Ils ont eu un enfant entre temps. A leur retour elle est passée professeure des universités (l’une des plus reconnues dans son domaine) et son mari a finalement commencé son doctorat. Cette année, elle va faire un post-doc aux USA, et dévinez quoi? Son mari arrête tout pendant une année afin de l’accompagner…

Pour moi, il ne fait aucun doute que tout est une question de culture. Evidemment que dans nos pays africains, un exemple comme celui de ma prof est difficile à rencontrer, d’où le défi lancé par la mystérieuse lectrice d’Aphtal. Mais dans un pays comme le Brésil, c’est une banalité… presque.

C’est ainsi que j’ai pensé à Dilma Rousseff tout comme à l’une des images fortes de ce début de 2015. Lors de sa prise de pouvoir pour son second mandat, la présidente Rousseff (divorcée) a paradé avec sa fille (mariée et mère d’un enfant). Là où on est habitué à voir un président avec son épouse ou son chef d’Etat-major, Dilma Rousseff rompt avec la coutume et installe sa fille à ses côtés… j’ai trouvé cela génial.

https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Jacques_Chirac_p1040637.jpg
Revue de troupes par Jacques Chirac | wikimedia commons

D’ailleurs, comme je le dis souvent ici, le Brésil est un pays très progressiste sur certains domaines. Le moralisme chrétien et surtout catholique est carrément mis de côté.

Le sénateur Aécio Neves, candidat malheureux lors des élections présidentielles en 2014 est lui aussi divorcé.

Il a marqué les esprits à l’époque où il était gouverneur du Minas Gerais parce qu‘il prenait ses fonctions accompagné de sa fille de 12 ans à l’époque…

Certes, on reproduit les valeurs familiales, mais on remarque surtout cette démarche qui consiste à rompre avec le modèle de la famille patriarcale.

Je trouve cette démarche importante car elle démystifie certaines croyances qui associent la compétence politique à la réussite familiale (entendez, le succès dans sa vie conjugale). De ce point de vue, le président français François Hollande est un personnage remarquable… c’est un homme qui se positionne constamment en rupture avec son milieu.

Les Etats Unis sont l’exemple type de ce moralisme qui s’applique à l’Etat, et ce, depuis les films de John Ford. Non seulement, le président de la République doit être marié et droit, mais également son vice-président.

https://pt.wikipedia.org/wiki/Posse_de_Barack_Obama_em_2009#mediaviewer/File:20090118_We_Are_One.jpg
Les couples Obama et Biden | wikimedia commons

En Afrique, j’ose croire que c’est également le cas, sauf peut-être pour les quelques pays dirigés par des femmes ou par un président officiellement polygame…

https://www.flickr.com/photos/minusma/9674948250/sizes/l
IBK, le président du Mali

Le Brésil reste donc un laboratoire du progressisme et de l’innovation politico-démocratique (pardon pour le gros mot… ).

J’en arrive (enfin) à ma question initiale: une femme divorcée peut-elle faire une bonne présidente? Et inversement donc: un homme divorcé fera-t-il un bon président? La question a son intérêt puisque dans de nombreuses Constitutions africaines il est clairement stipulé que pour être présidentiable il faut être … marié.

Dites-moi quel rapport avec la politique ou la compétence ? Ou est-ce que le mariage est une preuve de compétence? Le pape appréciera…

Enfin, un autre exemple qui fait du Brésil un des meilleurs pays au monde (ah, ah…): le site Portal Correio nous apprend que la ville de Pilar, à 52 km de João Pessoa (PB), vient d’élire la travesti « Mãe » Shirley comme présidente du parlement municipal. Une première dans l’histoire du Brésil.

En tous les cas, lorsqu’il sera question de faire le bilan de la présidence Rousseff, on ne regardera pas son état-civil…

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Oscars 2015, le Brésil offre une fable toute blanche

Après plus de dix ans à regarder ses voisins sud-américains briller aux Oscars, à la Berlinale ou à Cannes, le Brésil reviendra-t-il enfin au sommet avec ce film qui tient la route? Car depuis Central do Brasil de Walter Salles le cinéma brésilien meurt sur la plage, comme on dit au Brésil. L’année dernière aurait dû être celle de la consécration tant la radiographie des années post-Lula de Kléber Mendonça Filho (Le Bruit de Récife) incarnait le renouveau d’un cinéma qui se voulait aussi réaliste que le Cinema Novo (merci wikipédia). Ce Brésil tout blanc est peut-être le seul reproche que l’on fera au cinéaste.

Cette année le Brésil sera représenté aux Oscars par un film paulistano. Pourtant, c’est bien Récife avec ce mouvement que j’ai appelé la « Nouvelle vague de Récife » qui a démontré les premiers signaux d’une effervescence intellectuelle qui se refletait aussi dans son cinéma.

La vague s’est donc répandu jusqu’au sud du pays. Le thème de l’homosexualité devient récurrent chez les cinéastes brésiliens résolument décidés à prendre en charge cette problématique sociale. En se focalisant sur le Récife des seventies, Tatuagem montrait une relation amoureuse improbable entre un jeune militaire fraichement sorti des casernes et un acteur de théâtre assez roublard, partagé entre sa vie d’anarchiste et son rôle de père… Les années de plomb filmées ici de manière poétique. Mais ça c’est une autre histoire…

L’histoire d’un double handicap

Voici donc qu’en 2015, un autre film s’attaque à ce même thème de l’identité sexuelle – si tant est qu’elle existe -. Hoje Eu Quero Voltar Sozinho est l’histoire d’un double handicap (cécité et homosexualité) et de la façon dont on parvient à surmonter les défis d’une vie qui s’impose à l’individu.

Le titre du film – Aujourd’hui, je veux rentrer tout seul, mal traduit en français… Au premier regard   suggère une quête de liberté; mieux encore, d’autonomie et d’émancipation.

Nait-on homosexuel ou le devient-on? En tous les cas, Léo est né aveugle, c’est son fardeau. C’est là tout le propos du film. Mais la question est-elle prise au sérieux? Entre enjeu psicologique et parti pris sociologique du réalisateur qui se veut donneur de leçon (c’est le côté bisounours du film), le drama de Léo se décidera dans le doute. La question de l’homosexualité n’est finalement qu’ornementale…

Une mère possessive

capture d'écran du film Hoje Eu Quero Voltar Sozinho
capture d’écran du film Hoje Eu Quero Voltar Sozinho

Le motif est le même – ou presque – que celui de Men, women & children, dernière critique en date de la culture numérique. Comment s’affranchir de parents très possessifs. La question est plus difficile pour Léo, né aveugle.

La tension monte d’un cran entre Léo et sa mère lorsque celui-ci rentre tard après une sale journée à l’école. Il ne demande qu’à être traité comme ses amis le sont par leurs parents: comme un « adulte normal ». « Mais tu n’est pas normal… », retorque sa mère dont l’ultra-possessivité n’a d’égale que sa bêtise. Je vous ai dit que le film traitait d’handicap (la cécité de Léo). On y est. Et la vérité nue et crue sonne comme un coup de massue.

Le Brésil des années Dilma?

Treize ans après l’avènement de « Lula », le cinéma brésilien est-il finalement prêt à tourner la page et à s’attaquer aux « années Dilma »?

Des années marquées par le renouveau des mouvements sociaux grâce notamment à l’impulsion des réseaux sociaux et internet. Le sujet du film est aussi celui-là, c’est l’histoire d’un cinéaste qui veut apprivoiser la violence d’une société qui tourne difficilement la page de son histoire patriarcale et autoritaire.

Les « années Dilma » sont avant tout une affaire de différence et de reconnaissance.

 Le « Entre les Murs » brésilien?

capture d'écran du film Hoje Eu Quero Voltar Sozinho
capture d’écran du film Hoje Eu Quero Voltar Sozinho

Outre le fait que le film montre des adolescents en milieu scolaire, la comparaison s’arrête là. Bien que cet univers clos fonctionne comme une prison pour Léo qui ne songe qu’à s’échapper (un voyage à l’étranger peut-être… ), le film brésilien est très peu similaire au grand film français traitant de l’immigration des années 2000.

On est loin également du teen-movie conventionnel. Même si rien ne sera aussi tragique que dans American Graffiti, un climat franchement mélancolique pèse tout de même sur le film.

Y apparait néanmoins la violence d’une jeunesse pas si innocente que cela. Léo, l’adolescent aveugle doit trouver sa place parmi des collègues de classes loin d’être des prêcheurs du politiquement correct:

« c’est impossible de s’assoire derrière Léo avec les tic-tacs de sa machine à écrire »

L’arrivée d’un nouvel étudiant va boulverser ce petit monde. Un triangle amoureux se forme. Et rapidement un rectangle. Giovana, la meilleure amie de Léo, Gabriel – le petit nouveau – et Erica. L’amour est là, mais on ne le voit pas si clairement. En amour, justement, tout le monde est aveugle.

Daniel Ribeiro alterne entre temps forts et moins forts. On sent la main tremblante d’un jeune cinéaste. Mais une scène où « Léo va voir un film » au cinéma est particulièrement émouvante

Pas de cinéma en grande pompes ni fanfares à la José Padilha, celui qui immortalisa le capitaine Nascimento. L’affaire est plus simple ici.

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Dilma Rousseff, mais qui es-tu finalement?

Comparer le Brésil aux Etats Unis, c’est pénétrer dans une forêt explorée. Pas uniquement à cause de leurs systèmes politiques quasi similaires, sinon que les deux chefs d’Etats dont je vais parler en sont arrivés soit au début soit à la moitié de leur second mandat respectif. Néanmoins, si l’un démontre une intelligence politique rémarquable, l’autre fait preuve d’une lâcheté politique incommensurable.

Dilma Rousseff prête serment dans un climat de défiance généralisée. Sans crédit à droite comme à gauche. Pire, « elle se met en opposition avec l’aile majoritaire de son parti (Parti des travailleurs – PT) et conséquemment avec son mentor Lula Inácio da Silva duquel elle s’éloigne peu à peu »explique le blogueur Fernando Rodrigues.  Selon ce même spécialiste de la politique intérieure pour le site Uol, la mise en écart des lieutenants de « Lula » révèle un tournant de la politique de la présidence Rousseff.

Des promesses, des promesses…

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La présidente Dilma Rousseff en campagne électorale – crédit photo: Blog do Planalto | Flickr.com

Elle a tout promis, mais c’est une coupe amère que les brésiliens s’apprêtent à boire en ce début d’année 2015. Dilma Rousseff continue sur sa lancée vers la droite (des idées et de l’action…) comme je l’avais annoncé à mes lecteurs sur ce blog. Le gouvernement très market friendly de Dilma Rousseff est finalement sorti. Si la droite est perplexe, la gauche pour sa part est outrée !

Les réformes politiques suivront: réduction de l’assurance chômage, restriction de l’accès à l’assurance décès… ne dit-on pas que les gens qui n’ont rien à perdre sont les plus dangereux?

C’est l’excellent éditorial du site de gauche Carta Capital qui se demande où Dilma Rousseff conduit ce Brésil et si elle le sait elle-même, car tous les signaux envoyés par la présidente démontrent l’absence d’une vision politique. Remarquez, nous restons là dans les canons de Marx:

« Les hommes font leur propre histoiremais ils ne la font pas arbitrairement, dans les conditions choisies par eux: ils la font dans des conditions directement données et héritées du passé ».

« Il y aura des coupes budgétaires et probablement peu d’investissements dans l’éducation », s’inquiète un étudiant bissau-guinéen avec qui je me suis entretenu. La peur se repend. Dilma Rousseff fait peur. Dilma Rousseff s’adapte. Bref, Dilma Rousseff est une politicienne.

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Dilma Rousseff rencontre Nicolas Sarkozy à New York – crédit photo: Dilma Rousseff | Flickr.com

Jamais un gouvernement n’avait suscité autant de défiance dès la réelection d’un président, et cela se doit aux mauvais choix de madame Rousseff qui n’a cessé de courtiser les marchés aux détriments de ceux-là même qui l’ont aidée à remporter ce second mandant… sur le fil.

Comment Dilma Rousseff s’assoie-t-elle sur ses promesses? Pourquoi ce manque de courage? Pourquoi ne peut-elle pas agir (seule) comme Obama qui n’a pas non plus la tâche facile avec des républicains qui l’attendent au tournant? Qui est-elle, cette Dilma Rousseff qu’on ne comprend plus?

Le contre-exemple Obama

Lugar-Obama

Obama est à la moitié de son second mandat. Donc, il ne cherche pas une réelection. Cependant, il devra « préparer le terrain » pour le prochain candidat démocrate. 

Que fait Obama?  Il adopte une stratégie qui consiste à diviser le Parti Républicain. Comment? A travers sa politique d’immigration qui s’avère être la pierre d’achoppement des républicains .

Au minimum, le Tea Party et quelques conservateurs seront contre la « régularisation massive » des immigrés illégaux ( la majorité sont des « latinos »), ce qui tendra à leur faire perdre une bonne partie d’un électorat de plus en plus important (chez les républicains, l’un des nouveaux poids lourds est justement d’origines latines,Ted Cruz). Cette tactique porterait déjà des fruits si l’on en croit Betsy Woodruff du site américain Slate pour qui l’acharnement de Ted Cruz jouerait finalement en faveur d’Obama.

En d’autres termes, en pleine crise, Obama fait diversion en détournant l’attention de l’économie vers l’immigration: génial !

D’un autre côté, au Brésil, Dilma Rousseff divise sa propre base (comme l’indique l’editorial de Carta Capital cité plus haut dans cette note) et compromet toute perspective de victoire pour son parti en 2018.

Deux exemples qui illustrent parfaitement la lâcheté politique chez l’une et l’intelligence politique chez l’autre…

___________

P.S: Le choix de George Hilton, un néophyte, pour diriger le ministère des sports (à un an des JO de Rio) a également indigné le milieux sportifs en général. Autant dire que Dilma Rousseff a manqué son pénalty…

Pour aller plus loin, cliquez ici.


Le Brésil en 2014, c’était comme ça…

Du bruit dans le voisinage, une « bombe allemande »au Maracanã, un accident d’avion qui a (presque) changé l’histoire de Marina Silva du Brésil, le spectre d’Ebola qui planait sur Rio. Mais aussi, Dilma Rousseff sous le feu d’une presse adepte du terrorisme médiatique, un « empire » moribond par ci, des doodles à la sauce stéréotypée par là… Des Africains pas très intelligents, un blogueur qui perd sa virginité à 28 ans, et puis une comète dans le désert artistique brésilien. Il y a eu de tout cette année en terra brasilis. Retour sur une année traumatisante en dix billets publiés sur Carioca Plus.

Demorou mas chegou, comme on dit ici. Cela a pris du temps, mais c’est arrivé quand même. On avait terminé 2013 en beauté avec un film de Kéchiche, La Vie d’Adèle qui a fait l’effet d’une bombe dès sa sortie au Brésil. Un miracle dans un monde de plus en plus homophobe et fasciste, on l’a vu récemment avec Jair Bolsonaro, le pire député de la planète. Mais on ne se doutait pas que 2014 arriverait avec son lot d’émotions… mama mia !

1. La grande surprise de l’année, voire, la très très grande surprise pour moi en 2014 a été Kléber Mendonça Filho, cinéaste formé « à la française » tant les références à la Nouvelle Vague sont évidentes dans son oeuvre, notamment dans une radiographie de la classe moyenne brésilienne du post-lulisme. Neighbouring Sounds (Le Bruit de Récife du côté de l’Hexagone) a été classé parmi les meilleurs films de 2013 par A. O. Scott, éminent critique du New York Times. Veni, vidi… et j’ai aimé.

2. Des petits allemands bien installés à Bahia. Puis s’en vont faire une excursion à Rio, size Maracanã. Dans leurs valises, des bombes. Sept bombes. Sept buts qu’ils vont planter sans état d’âme au coeur d’un Maracanã castré de sa star Neymar… la honte du siècle !

Bang! bang! bang! bang! bang! bang et bang ! Cruels, méchants allemands qui ont fait pleurer des millions d’enfants brésiliens. Comment ont-ils osé ? En plus, du côté de Berlin, ce n’était pas vraiment une priorité nationale… et quand c’est raconté par une amie « allemande », c’est carrément… jouissif :

 « -Hein quoi ? Non encore ? Message whatsapp : comment ça 2.0 ?? Les filles, ça veut dire que dans 3 minutes il va y avoir un but !!! Il va y avoir un but !!! Hystérie. Explosion. Message whatsapp. 3-0 ? Mais non, il n’y a même pas 2.0 !! Hystérie. Aaaaaah gooooaaaal. Message. Explosions. 4-0 ? Quoi 4-0 ? Mais on vient de dire 3-0 ? Aaaah 3-0. Aaaaaaaaaah. AAAAAAH. »


Mais voilà, il fallait bien que quelqu’un fasse redescendre les Brésiliens sur terre. 7-1, « score fleuve éducatif ». Le Brésil ne sera plus jamais le même après le passage de l’armada allemande.

3. 2014 n’avait pas fini de nous offrir son cocktail maudit. Ô Dieu, éloigne cette coupe de notre face!  On s’approche des élections, rien ne se passe, on se fait chier avec des candidats polis quand, un beau matin, à Santos, un petit avion s’écrase et emporte Eduardo Campos… Coup de tonnerre dans cette campagne électorale. Marina Silva se sent pousser des ailes et change jusqu’à sa coupe de cheveux. Les sondages lui sont favorables dans un premier temps, Aécio Neves attend son heure pour jouer le trublion. Dilma Rousseff ne sait pas comment réagir. Car on ne tape pas sur les morts… Bref, une campagne relancée (amen… ) et du contenu pour ce blog. Hip, Hip, Hourra !

4. Lorsque les médias internationaux commencent à faire leurs « Unes » sur le virus d’Ebola en Afrique, la panique gagne doucement le territoire brésilien. Des sites Internet sont créés pour demander au gouvernement de freiner l’immigration africaine qui ramène son lot de maladies (VIH, Ebola et j’en passe… ). Enfin, tout ça n’est pas très net, certains demandent des contrôles médicaux pour toute africain personne qui viendrait du continent noir… On parle même de fermer les frontières.

5. Véronique Montaigne, ancienne correspondante du Monde.fr au Brésil donne de la voix sur Twitter. C’est que l’hebdomadaire Veja vient de publier une édition à charge contre Dilma Rousseff à deux jours de la tenue du second tour de la présidentielle. « Ils savaient tout », dit la Une en référence au scandale de Petrobras. Dilma Rousseff et Lula da Silva étaient donc au courant et ont ignoré le réseau de corruption qui se formaient autour de Petrobras… vous avez dit terrorisme médiatique ?

6. Un empire pour booster l’audience en chute libre de la chaîne Globo? C’est l’histoire d’un empire qu’on a vu trop beau, mais qui s’est vite cassé les dents face à un public de plus en plus exigeant et qui n’hésite plus à payer pour avoir les chaînes du câble… Império est actuellement la télénovela de 8 heures sur Rede Globo. Construite sur de belles promesses et de vieilles formules (ascension vertigineuse, argent, sexe, glamour, cynisme de la vilaine, etc.), elle peine toujours à flamber… Le divorce entre Globo et les Brésiliens est-il déjà consommé? En 2015, Rede Globo aura 50 ans, mais on annonce une série de coupes budgétaires… à suivre.

7. Google a été très inspiré pendant cette Coupe du monde au Brésil en imaginant des doodles personnalisés pour chacun des matchs diffusés... j’ai donc passé une bonne partie de mon Mundial à suivre ce « carnaval » de doodles qui, disons-le, ont véhiculé les idées reçues sur le Brésil. Bref, un programme amusant, mais révélateur de l’image que l’on a du Brésil à l’étranger : ce pays au coeur de l’Amazonie où les gens jouent au football à la plage avant de piquer un somme sur des hamacs plantés au bord de la mer… évidemment, les sudistes ne s’y retrouveront pas.

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8. Tout commence avec un geste spontané de Daniel Alves victime du racisme lors d’un match avec le FC Barcelone. Le Brésilien décide de ramasser la banane qu’on lui a lancée et de la manger… stupeur générale ! « Qu’est-ce qui lui a pris à Dani Alves de prendre un tel risque? », s’étonnera-t-on. Voilà un geste qui vaut bien une exposition Exhibit B… Le fait est qu’une agence de marketing proche de Neymar récupère l’affaire en lançant une campagne publicitaire avec le hashtag #NousSommesTousDesSinges (#SomosTodosMacacos). Evidemment, j’étais contre et je l’exprimais avec mes mots qui me vaudront les foudres de mes amis africains que j’ai traités (non sans une certaine colère) de… « cons ».

9. Jusqu’en avril 2014, j’étais vierge ! Sérieux. Je n’avais jamais fumé un joint jusqu’à mes 28 ans. La faute à mon éducation, à l’Afrique où j’ai grandi et où les drogues – même légères – ne sont pas tolérées. L’expérience a été plus qu’intéressante (je ne vous dirai pas les détails de cette folle soirée…). Pour l’occasion je suis revenu sur le débat de la légalisation du cannabis et de sa dépénalisation. Sacré débat !

Cannabis

10. Un remix de George Harrison, un groupe rock brésilien au nom argentin: Los Hermanos. C’est bien leur chanson « Anna Júlia » que Jim Capaldi et l’ancien membre des Beatles ont reprise, donnant lieu à une version anglaise plutôt fidèle. Mais, c’est la carrière solo de l’un des vocalistes de Los Hermanos qui promet. Rodrigo Amarante est une comète, oui, et il faudra bien un télescope géant pour suivre cet astre… lumineux !

Mi-bossanova, mi-rock et mi-blues, le nouvel album confidentiel de Rodrigo Amarante est le must de cette année au Brésil. Un arrangement superbe, un culot monstre (il prend le risque d’écrire une chanson en français) de celui qui a élu résidence à Los Angeles. Cette liste ne pouvait que se terminer par mon coup de coeur de 2014. Il m’est carrément impossible d’arrêter d’écouter Cometa… vous aussi, vous pouvez commencer aujourd’hui.

Si quelque chose vous a marqué en 2014 – au Brésil ou dans votre pays -, dites-le dans les commentaires…

Pour me suivre sur Twitter, @sk_serge 

 


L’Amérique qui célèbre Malala malmène Snowden

Nous vivons décidément dans un monde fou. La journée d’hier mercredi 10 décembre 2014 a été marquée, du moins de mon côté, par un événement, le live proposé par plusieurs médias français pendant lequel on pouvait entendre Edward Snowden exposer ses idées sur les libertés démocratiques dans un monde de plus en plus surveillé. Avant d’aller plus loin, je vous invite à faire un petit exercice mental : sur cette photo dans le bureau ovale, remplacez Malala par Snowden et pensez fort à cet instant magique, ainsi vous comprendrez le sens de ce billet.

Le numérique engagé pour nos libertés

Le live pouvait être suivi sur Twitter à travers le hashtag #10jourspoursigner. Malgré la piètre qualité de ma connexion, j’ai quand même pu suivre une partie de la retransmission sur Internet grâce à un tweet de Ziad Maalouf (@ziadmaalouf).

Sur les réseaux sociaux, on pouvait voir que la « communauté du numérique français » était bien impliquée sur le très sérieux problème des libertés individuelles mises à mal notamment par la CIA et la NSA. Vous remarquerez par exemple, sur cette photo , l’un des pionniers du data-journalisme en France, Jean-Marc Manach du blog Bug Brother en arrière-plan (il porte le chapeau préféré des communistes , attention), ainsi que certains acteurs du net tout aussi importants, mais cependant moins connus… (clin d’oeil spécial pour le mec en jaune…)

Bref, la journée était spéciale pour les journalistes, les blogueurs, les ex-journalistes comme moi-même, et tous ceux qui s’intéressent aux droits de l’Homme.

Si vous avez perdu le direct organisé ce mercredi par Amnesty France (@AmnestyFrance), pas de panique. Il y a eu assez d’émissions de radio (désolé pour ceux qui ont du mal à se concentrer sans une référence visuelle) dont voici quelques liens:

ou celui-ci:

 

Hier mercredi toujours, on a longuement discuté sur les médias internationaux (CNN, Globo, etc.) sur un rapport du Sénat américain qui révèle les tortures utilisées par les Etats-Unis pendant les guerres d’Afghanistan et d’Irak. Curieusement, au Brésil, la présidente Dilma Rousseff recevait le premier rapport de la Commission vérité (CNV) créée au début de son premier mandat pour faire la lumière sur les violations des droits de l’homme pendant la dictature. On apprend donc que près de 500 personnes ont disparu au Brésil entre 1964 et 1986.

Le prix Nobel pour Malala, l’exil pour Snowden

Il se peut que dans 200 ans, les historiens définissent cette différence de traitement entre Malala et Snowden comme la grande contradiction de notre époque. Comment la même civilisation fut-elle capable de célébrer deux grands activistes des droits de l’homme récompensant l’un par le prix Nobel de la paix et l’autre par l’exil, se demanderont-ils.

Comprenez bien une chose : Snowden aussi est célébré; il devient même une espèce de gourou de la liberté. Cependant, il existe contre sa personne un veto tabou qui interdit que tout éloge soit fait en sa faveur à la télévision.

Le contraste est frappant. Alors que j’attendais une mention à Snowden sur CNN (la chaîne de télévision que je reçois grâce à un abonnement au câble) et Globo (géant de l’audiovisuel au Brésil), j’ai pu constater l’absence totale du lanceur d’alertes sur ces deux chaînes de télévision.  Aucune mention.

NadaOn aurait cru à une consigne passée aux journalistes leur interdisant de parler du sale traître réfugié en Russie, sacrilège! Même le site de CNN boycottait l’américain.

Malala, quant à elle faisait la Une un peu partout. Il est bien vrai que la nouvelle star des défenseurs des droits de l’homme a ce petit côté attachant, ce n’est pas moi qui vais en douter. Elle a effectivement une « bonne histoire à raconter », elle représente une mine d’or pour médias qui raffolent des histoires « adaptables » au cinéma. Cela vend. Pour autant, est-il justifié qu’elle éclipse à ce point Edward Snowden dans l’imaginaire collectif?

Les femmes insultées à Brasília

Pendant ce temps-là, du côté de Brasília, le député conservateur lié au mouvement des évangélistes, Jair Bolsonaro, fait des vagues après ses déclarations plus que douteuses : « Si je ne te viole pas, c’est parce que tu ne le mérites pas… « , a-t-il déclaré à l’encontre d’une collègue députée en pleine session parlementaire.

Traduction, au cas où vous n’auriez pas complété le syllogisme: certaines femmes méritent bien d’être violées. Ce qui n’a pas manqué de créer une sacrée polémique, vous vous en doutez. Quatre partis politiques ont demandé la cassation de son mandat, mais autant rêver et souhaiter le retour du Christ pour ce Noël…

Difficile de comprendre notre époque en effet…

Pour suivre la conférence d’Edward Snowden en anglais, c’est par ici:


Dilma 2.0 : un gouvernement (très) « market friendly » au Brésil

Dilma Rousseff a gagné les élection en 2014, exact ? Faux ! Elle les a perdues. Du moins moralement et symboliquement. Les intégristes de la langue de Molière me pardonneront cet écart de langage; « market friendly » n’étant pas très « french friendly« , je sais, mais les exigences du métier, c’est-à-dire écrire à l’ère du SEO m’y obligent. D’ailleurs, la présidente du Brésil, Dilma Rousseff est dans la même démarche: s’adapter… au marché et au numérique (2.0).

Après une campagne électorale marquée par une surenchère dans l’utilisation d’un discours progressiste, tant à droite qu’à gauche, voilà que Dilma Rousseff (PT, Parti des travailleurs) se met en tête de séduire les marchés qui la bouderaient depuis le premier tour de la présidentielle.

On annonce donc une reformulation des ministères du côté du Palácio do Planalto, avec une entrée massive, si l’on peut dire ainsi, des conservateurs. Au Brésil, si cela peut choquer certaines sensibilités de gauche, institutionnellement, ça reste très faisable grâce à un présidentialisme de coalition qui favorise les accords post-électoraux.

L’ancien maire de São Paulo, Gilberto Kassab est donc pressenti pour le ministère de la Ville. Kassab est réputé conservateur et a fait alliance pendant un long moment avec l’actuel gouverneur de São Paulo, Geraldo Alckmin (PSDB, social-démocrate) qui roule pour l’opposition. Sur cette carte interactive élaborée par le quotidien Folha de São Paulo, il est possible de voir les changements que pourra apporter Dilma Rousseff à son gouvernement 2.0 et surtout très Market Friendly.

Dilma 2.0 sera donc un gouvernement progressiste formé par des ministres de droite ? L’ingénierie révèle au moins un fait : remporter une élection est une chose, gouverner en est une autre.

Et surtout, il apparaît clairement que Dilma Rousseff est ressortie fragilisée de ces élections notamment parce que son parti a perdu des sièges au Parlement.

Ces dernières semaines, le nom de Kátia Abreu (PMDB, centre droit) pressentie au ministère de l’Agriculture a fait couler beaucoup d’encre; car elle dirige actuellement la confédération de l’agriculture et de la pêche, un secteur de la production pas toujours bien vu par les mouvements sociaux…

De plus, Dilma 2.0 fera attention à ne pas nommer un ministre qui serait par la suite emporté par le scandale de Petrobras. On se souvient qu’après son élection de 2010, la présidente Rousseff a dû changer six ministres pris dans une autre tempête de corruption.

Madame Rousseff est donc très loin d’être en position de force. Elle doit composer, et ici, le parallèle avec Obama 2.0 est très opportun, car si Dilma Rousseff s’efforce de plaire à un Parlement opposé à son programme et également très Market friendy, Obama a décidé de passer en force notamment sur le dossier de l’immigration.

Tout ceci me fait penser à une anecdote très connue dans les années 1990 et que Julie Owono (@JulieOwono), la grande journaliste camerounaise me rappelait un peu par hasard sur le réseau social Facebook. Parlant de l’affaire Exhibit B, elle a additionné le hashtag #TINA provoquant ainsi ma curiosité. Naturellement, j’ai pensé à la gourou des marchés, Margaret Thatcher et son fameux slogan There Is No Alternative, sans me rendre compte que l’acronyme avait depuis été resignifié en This Is New Africa – donc aussi, #TINA.

Bref, il me semble que ce slogan si cher à Margaret Thatcher n’a pas fini de nous gouverner, du moins symboliquement. Car on le voit bien que dans tous les pays, les gouvernements sont préoccupés par une obscure nécessité d’être Market friendly, c’est-à -dire, fréquentables.  Qui a dit que le thatchérisme était mort?

 


Le racisme et l’islamophobie, modus vivendi en Israël

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Crédit photo: Roger Blackwell | Flickr.com

Simple artisan de la caméra qu’il est sans doute, Marcel Ophuls, fils du «Grand Max» embarque dans une voiture à la recherche de la vérité sur la dégradation du conflit israélo-palestinien. La vérité qui l’intéresse est en fait un condensé de vérités, puisqu’il donne la parole aux nombreux acteurs de ce brûlot qu’est devenu le territoire israélien. Ce que l’on découvre est un lamentable spectacle d’islamophobie.

Des personnalités comme Zeev Sternhell (l’un des plus grands intellectuels israéliens encore en vie, c’est lui qui mériterait l’Académie, pas Finkelkraut) et Edwy Plenel prêtent leur nom à ce projet du documentariste franco-allemand; le but étant de récolter assez de fonds pour filmer ce documentaire dont le budget s’évalue à 50 000  euros.

Il faut donc le voir. Il dure – pour l’instant – 12 minutes. On y voit en passant, Jean-Luc Godard, pas très agréable, certes; mais c’est semble-t-il l’intention initiale de Marcel Ophuls. Cela commence avec un certain humour, mais le ton va vite monter pour atteindre le tragique irrémédiable…

Voilà donc Marcel Ophuls, accompagné de son guide, un homme dans la trentaine, Israélien résigné par le spectacle du radicalisme qui s’empare de la jeunesse de son pays, il sait que lui aussi est responsable puisque tout se fait au nom des juifs: « nous sommes tous embarqués », confesse-t-il à Ophuls.

Pour une jeune fille qui songe à « épouser un Arabe », le suicide sera peut-être la seule issue. Sinon, des jeunes radicaux se chargeront de l’éliminer comme un cancer qu’on extirpe: » Si elle se perdait elle-même, il n’y aurait pas de problème. Mais là, c’est l’âme de ses futurs enfants qu’elle veut perdre et aussi Israël, c’est inacceptable! », des propos absurdes qui laissent parfois penser que l’on nage dans la simple fiction. Hélas, non.

Ce documentaire, s’il sort un jour, devra être vu en complément du film de Charles Enderlin, correspondant depuis quarante ans pour une chaîne française en Israël, lui aussi résigné… Est-ce le sort de tous ceux qui ont vu ce conflit de près?

C’est un road movie filmé sous forme d’enquête initiatique que l’on espère voir prochainement… en 2015, normalement. En attendant, ces 12 minutes suffisent…


Au Brésil, des candidats analogiques à l’ère du numérique

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Crédit photo: Stomi |wikimedia commons | cc

Un mois est passé depuis la réelection in extremis (enfin, selon les standards de la presse opposée au pouvoir) de Dilma Rousseff – avec 52, 45 %. L’actualité est encore chaude mais déjà des études commencent à être publiées afin de tirer les premières conclusions de ces élections. Ma semaine a été plutôt chargée entre deux congrès de Science politique très importants; mais au final, l’effort valait bien la peine. J’ai particulièrement aimé la conférence de Michel Neil, jeune consultant politique basé à Brasília qui a, au passage, fait son doctorat avec mon ancien directeur de mémoire.

Des électeurs fatigués?

Michel Neil est donc parti de quelques interrogations assez simples: pourquoi le Parti des Travailleurs a considérablement reculé durant ces dix dernières années, obtenant systématiquement des résultats inférieurs à ceux des élections précédentes? On se rend compte par exemple, qu’en 2002, Lula da Silva est élu avec 61, 32 %, puis 60 % en 2006 lors de sa réelection. D’un autre côté le parti de l’opposition n’a jamais atteind 40 % entre 2002 et 2010.

Or, en 2014, Dilma Rousseff obtenait un peu plus de 52 % des voix pendant que Aécio Neves flirte avec les 50 %.

Selon Michel Neil qui a bien évidemment étudié les sciences politiques américaines, cela serait dû à un phénomène récurrent dans les comportements électoraux. Les électeurs ont tendance à présenter une certaine fatigue électorale après de longues périodes de règne d’un seul parti. On peut donc en conclure que l’idéologie n’a rien à voir avec la « débacle électorale » du PT, moins encore les affaires de corruption. Il se produit tout simplement un effet naturel de renversement des attentes sur les promesses électorales. Suivant cette logique, on peut aussi penser que le PT perdra les prochaines élections quelque soit le candidat présenté (ce pourrait être Lula, coucou Poutine…).

Paradoxalement, l’opposion n’a pas saisi cette chance et c’est le gouvernement sortant qui a compris cette dynamique qui révélait une « fatigue électorale », d’où l’utilisation d’une réthorique portant sur la promesse d’encore plus grandes transformations: Brasil Muda Mais.

Le mythe d’un Brésil divisé

Contrairement aux arguments fallacieux, racistes et xénophobes entendus dans les médias tant nationaux qu’internationaux, les électeurs ne votent pas selon leurs appartenances régionales; les nordistes ne votent pas systématique pour le PT parce qu’ils sont moins instruits ou moins modernes politiquement. A l’opposé, les sudistes ne votent pas à droite parce qu’ils sont plus éclairés, plus rationnels et moins enclins au clientélisme… Le clivage le plus déterminant dans une élections est axé sur le revenu.

Des candidats analogiques à l’ère du numérique

Une révélation plutôt anecdotique en dit long sur les dirigeants brésiliens dont l’inculture en matière d’utilisation des nouveaux médias est assez comparable aux politiciens de France. C’est donc lors de cette conférence que j’ai appris que Dilma Rousseff (@dilmabr) et Aécio Neves (@AecioNeves) n’ont réactivé leurs comptes Twitter qu’après les manifestations monstres de Juin 2013. Ils sont donc réactifs alors qu’ils devraient être proactifs.

Par ailleurs, Michel Neil a insisté sur le fait que les canaux de communication entre cette Génération Millenium – âgée de moins de 25 ans – et le pouvoir sont inexsitants. Plus impatiente, elle n’a pas connu l’inflation, le chômage structurel des années 1990, ou la dictature. Elle ne croit pas aux grandes promesses (Bolsa Família, le Plan Real, etc.) moins encore aux grands slogans.

Des chiffres étonnants !

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Des électeurs d’Aecio Neves aux dernières élections de 2014 – crédit photo: Drispaca | Flickr.com

Certains chiffres présentés lors de cette conférence sont impressionants et révélateurs d’une mutation profonde qui affecte le scénario politique brésilien, malheuresement, en mal (de mon point de vue, bien sûr).

Ce qui est frappant c’est d’observer une « américanisation » des pratiques politiques. Ainsi, on apprend que sur l’ensemble des mercredis d’une année normale, 15 milles lobbistes visitent le parlement brésilien. Parmi eux, d’anciens députés qui ont un passe-libre alors qu’ils ne devraient plus avoir accès à certains locaux de l’institution. En comparaison, le Pain de sucre à Rio de Janeiro attire 8 milles touristes sur l’ensemble des mercredis d’une année. Brasília serait-elle donc à l’image du Washington de House Of Cards assassinats exclus?

« L’énorme activité des lobbies et des groupes d’intérêts est inquiétante surtout qu’elle n’est pas réglementée; de plus, les minorités sont sous-représentées – les noirs et les femmes notamment » expliquaient Michel Neil après que je l’aie questionné sur un chiffre (ci-dessous) qu’il présentais sans une analyse plus approfondie.

80 % des députés élus se déclarent de race blanche. Ce chiffre est très significatif dans un pays où 52 % de la population se déclare de race noire (au cas où le lecteur ne le saurait pas, au Brésil la race est déclarée. Elle est complètement subjective, voire stratégique, si l’on veut profiter des politiques de quotas).

Enfin, comment ne pas s’indigner contre le fait que les élections brésiliens sont les plus chers du monde après celles des Etats Unis? Un homme politique élu a plus de chance de se faire réelire qu’un novice. Cela est dû à des multiples raisons allant d’une plus grande culture organitionnelle (adapté à la compétition électorale) à une utilisation illégale des ressources publiques.

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P.S: Ce billet est dédié à J.M Hauteville.

 


Cinq choses à ne jamais dire à une brésilienne

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crédit photo: Xavier Donat / Flickr.com

AVERTISSEMENT: cet article doit être pris au second degré! 

2014 s’en va rapidement et sûrement. Bientôt ce sera le carnaval, on se prépare déjà psychologiquement à cette grande orgie fête nationale où l’on voit les classes sociales et les différentes éthnies en parfaite harmonie. Ce sera donc l’occasion pour beaucoup d’étrangers de venir chercher le bonheur sur la « Terre Sainte des fétards ». Voilà, je vous livre quelques récettes pour ne pas repartir complètement frustré de Copacabana… voici le guide de survie sans langue de bois pour l’étranger en quête d’amour.

1. Ne jamais dire « je t’aime ».

La mode chez les brésiliennes est au féminisme ou à la dépravation tout court. Ça dépendra de votre opinion personnelle sur le sexe d’un soir, sans lendemain. Dès que vous arriverez à Rio, elles seront des dizaines à détecter le parfum d’un amour d’été sans lendemain. Alors, por favor, ne brisez pas ce rêve d’enfant d’une jolie carioca. Ne vous laissez pas non plus emporter par ce sourire qui n’existe que sous les cocotiers de Leblon, ne vous fiez pas à cette chevelure sortie tout droit de Pocahontasune brésilienne a horreur d’entendre les mots magiques, « Je t’aime ». Elle cherche un coup rapide. Au Carnaval alors, de préférence un noir… vous avez bonne réputation. Si vous êtes congolais, c’est mieux. Vous partez avec trois filles d’avance. Ne vous vantez pas trop tout de même, une amie brésilienne me confessait récemment son « afrophobie » dû à une expérience qui a rapidement pris la tournure d’une consultation chez le gynéco

Oubliez tout ce qu’on vous a dit sur le Brésil, le guide pour touristes qu’on vous offre à l’ambassade est nul. « Saudade », « te amo »… bannissez ces mots de votre vocabulaire brésilien. Alors pas trop de sentiments, ne rêvez pas. Consommez !

2. « Je suis africain »…

Au lieu de dire « je suis africain » (dangereuse association mentale entre l’Afrique, la guerre et… Ebola), dites plutôt « je parle français » – Falo francês, simple et efficace. Ce n’est pas un mensonge et ça crée un lien psychologique avec l’Europe. Pour elle, deux choses vont se passer: elle verra immédiatement la Tour Eiffel et  pensera à une chanson de Brel... « Ne me quitte pas ». Vous avez donc intérêt à vite apprendre les paroles avant d’embarquer… on s’en fout de votre passeport. Si vous voulez montrer que vous êtes français, chantez. vous n’avez pas idée de combien de brésiliennes vous pourrez vous taper juste en récitant le refrain de cette chanson magique: « némé kiteu paaa… « 

3. « Tu es une fille très délicate »

Mais oh quoi! Vous vous croyez où là? A Paris? Ici , c’est Rio, c’est Bahia, c’est Récife… bref, c’est le carnaval. Les filles ne veulent pas entendre de la poésie à deux francs… elles veulent des mecs, des taureaux, alors agissez comme tel. Pas de bla-bla-bla inutiles. Vous risquez de l’effrayer et elle risque de vous sortir le beau discours féministe. Pire, elle risque de vous prouver qu’elle n’est pas la jolie fille délicate de Walt Disney, et je vous assure que ça peut vous déplaire… n’oubliez pas qu’il y a plein de mecs à côté qui ont un oeil sur elle, et elle le sait.

4. Ne dites pas la date de votre départ

Alors là, il faut être bon joueur de poker. Vous ne devez pas montrer d’attachement émotionnel, elles détestent cela. Mais en même temps, une brésilienne, c’est brésilien. Je m’explique. Elle fonctionne à l’affect même si elle ne l’avouera pas. Si vous parlez de votre départ, elle ne pourra pas se projeter à long terme même dans cette relation sans compromis. Elle veut savoir que vous êtes disponible pour elle, juste au cas où elle apprécierait la première nuit. Alors, parlez de rester au Brésil, de visiter le pays, de temps en temps, glisser des mots en français ou en anglais, histoire de lui rappeler à qui elle a affaire… soyez bon joueur. Vous évoluez dans la cour des grands maintenant.

5. « Je veux sortir avec toi… »

« Eu quero namorar… ». La phrase assassine qui tue les amours sans lendemain de Rio. Ok, elle est très gentille avec vous. Oui, elle vous a fait des câlins la nuit dernière, vous avez même eu droit à un massage avec une pommade mystérieusement trop froide, mais cela ne veut pas dire qu’elle veut que vous lui passiez la bague au doigt. Vous, les africains surtout, arrivez avec vos idées de mariage et de femme soumise et fidèle… vous n’avez pas choisi le bon pays. Même après deux rencards ne lui proposez pas une relation sérieuse surtout si elle a moins de trente ans.

Bonus: ne dites jamais non si elle vous offre un petit joint… ça vous aidera à rester zen et à ne pas trop vous prendre au sérieux… voire même à ne pas débiter des conneries dont vous seul avez le secret…

Bon, je vous laisse car Diego Costa est en train de claquer…


Interstellar de Christopher Nolan: raté ou coup de maître?

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Image NASA / Wikimedia Commons /CC

On en sort bouleversé. On jubile, on rit aux éclats avec les amis après ce qui est sûrement l’une des experiences cinématographiques les plus intenses qu’on aura eu sur grand écran. Christopher Nolan prend le pouvoir à Hollywood avec une certaine autorité dans une oeuvre monumentale (3 heures) qui ne correspond que rarement aux espoirs que l’on pouvait nourrir.

Interstellar est un grand film mais pas pour les raisons qu’on attendait. C’est finalement un film très hollywoodien que realise Nolan sous de fausses apparences de cinéma d’auteur rempli de références à 2001: une odyssée de l’espace de Stanley Kubrick (l’homme qui parle à un écran, mais pas que cela); de Star Wars de George Lucas (une version cubiste de R2 plus rapide et plus intelligent, mais toujours au service du héro). Les bases de la SF sont bien fixées.

Au commencement était la famille

Cependant ce qui fait la force de ce film, c’est justement le côté humain imprimé à Interstellar par Nolan, notamment en posant son sujet pendant quarante longues minutes autour de la famille de Matthew McConaughey. Cette demarche est paradoxale puisqu’elle répond aux éxigeances du public américain qui consomme volontier les tourmentes intimistes de l’Amérique profonde. On ne le saura jamais, mais il est facile de déviner que cette Amérique profonde est située quelque part dans l’Ouest sauvage qui retrouve son ancienne nature d’avant la conquête. Pour autant, Christopher Nolan aurait pu éviter cette longueur qui ne plaira pas à tout le monde: quarante minutes pour expliquer que la terre est en manque de réserves et qu’au passage McConaughey se démerde pour sauver se qui reste d’humanité dans cette communauté au nom de l’amour paternel, c’est trop. Mais, encore une fois, cela peut aussi être une force.

Affiche du film Interstellar  / Source Wired
Affiche du film Interstellar / Source Wired

Une faute grave conclue cette longue mise en scène de la famille Cooper lorsqu’on passe, moyennant un compte à rebours, de ce contexte rural très austère à l’ambience plus sobre d’une navette spatiale. Voici un défaut récurrent le long du film dans lequel on perçoit un manque de transition d’un plan à l’autre. Un problème de montage qui en gênera plus d’un. Quelques fondus placés ça et là auraient sans doute aéré le film. L’idée d’escamoter des plans les uns après les autres répond évidemment aux exigences du blockbuster (c’est bien là que Nolan se révèle un cinéaste typique d’Hollywood).

Quelques incohérences scénaristiques s’invitent aussi dans le film: comment expliquer que dans un monde où il manque drastiquement de nourriture, nos personnages sirotent leurs bières, nuit après nuit, sur le pas de la maison comme à la belle éqoque des westerns? On est sérieux, là?

McConaughey en mode patron

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crédit photo: Avda / wikimedia commons

Dans l’histoire du cinéma, un chapitre à part sera réservé à l’icône Matthew McConaughey, meilleur gendre des brésiliens (pour ceux qui aiment les petites histoires comme moi). Il faudra nous expliquer un jour comment un acteur prométeur devenu has-been a su refaire sa carrière en abandonnant les comédies dramatiques (si prévibles…) pour embrasser cette facette plus obscure qui le situe à mi-chemin entre Steve McQueen et Dirty Harry.

Christopher Nolan en est conscient, si bien qu’il construit l’ensemble de son film sur le personnage de Cooper au prix sacrificiel d’autres personnages dont on pouvait espérer beaucoup plus que de la simple figuration. Ainsi, le grand mystère de ce film, de mon point de vue, demeure la présence de Casey Affleck. Que vient-il faire dans Interstellar? C’est l’une des mes plus grandes déceptions et Nolan en est largement responsable tant son parti pris pour McConaughey est flagrant. Idem pour Matt Damon dont on connait l’immense talent. Heureusement, Jessica Chastain hérite d’une construction plus généreuse de son personnage. Néanmoins, une explosion de joie surjouée gâche la performance de l’actrice. Mais, on l’aura compris comme une énième manifestation de la loi hollywodienne du « baiser à tout prix »…

L’équilibre émotionnelle créé par la présence des deux femmes (sa fille et sa collègue) dans la vie de Cooper/McConaughey est fait de manière très subtile et efficace, tant et si bien que l’une des scènes les plus réussies du film est justement ce moment où les trois personnages partagent la douleur commune d’une perte…

Quand l’espace et le temps s’intègrent à la mémoire

Source: capture from trailer
Source: capture from trailer

Christopher Nolan est très ambitieux, on le sait. Tous ses films indiquent cette quête acharnée vers un univers dénoué de toute frontière, tant matérielle que morale. Dans Interstellar, le cinéaste s’engage radicalement sur cette voix philosophique. Qui aurait cru possible, qu’au 21e siècle, il soit encore possible de rouvrir un débat sérieux sur l’utilitarisme marquant telle ou telle action humaine?

Nolan s’empare également de nombreuses questions morales comme celle de l’utilité du mensonge, de l’action fondamentalement altruiste et du sacrifice de soi. Tout cela est fait de façon très pertinente.

Je ne suis évidemment pas un spécialiste de la physique, mais supposant que tout cela soit possible, il faut souligner l’intelligence de Christopher Nolan qui se propose de retourner les lois de la physique dans tous les sens, interrogeant par la même occasion l’idée de l’existence de Dieu (concentrez-vous jusqu’à la fin!).

La loi de la relativité est poussée jusqu’à l’extrême, à tel point que ses conséquences ne la rendent que plus puissante… et émouvante (ici, remarquez les scènes de vieillissement accéléré). La tension ne montera jamais aussi fort que lorsque les personnages se rendent compte que le temps n’a pour eux que le poids d’une plume… troublant!

Enfin, ce qui me semble être le coup de maître de Christopher Nolan, c’est l’improbable relation qu’il établit entre l’amour et la science – les mots d’Anne Hathaway lors d’une déliberation ou les liens (trop) forts entre père et fille – et partant, entre la mémoire et l’espace: pourquoi CETTE chambre-là? – font que le film prenne une dimension personnelle evidente.

Note: 8,5/10


Sagnol; des propos honteux

 

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Claude Makelele, Willy Sagnol et Lulian Thuram – crédit photo: chocolatebird / Flickr.com

C’est que le joueur avait une sacrée patte. Plusieurs fois, je le rappelle à mes proches qui oublient vite qu’avant Sagna, le football français a déjà eu un Sagnol. L’homme au pied magique, celui qui d’un coup de patte déposait des offrandes sur les têtes des attaquants du Bayern Munich et de l’équipe de France. Un fuoriclasse, comme disent nos amis italiens. Mais voilà, le crépuscule des idoles n’est jamais trop loin. Sagnol a tué son propre mythe, dans un instant d’égarement, il a oublié de tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler. Ce que moi aussi je vais me permettre ce soir.

J’adorais le joueur. Un monstre. Un latéral droit comme on en produit plus en France, en Europe, dans le monde tout court. Willy Sagnol était un artiste, né pour faire des centres, de longues transversales, des « changements », des inversions de jeu… A Munich ou en équipe de France, il a laissé une marque à tel point que personne n’a douté de ses compétences lorsque ce dernier a décidé d’échanger ses crampons pour une chemise blanche… la pelouse pour le banc.

Entraîner, pour un mec comme Sagnol allait de soi. Et, n’est-ce pas que ses premiers mois en tant que coach de Bordeaux, qui plus est ma ville natale, nous prouvaient encore une fois que l’homme est prédestiné? D’abord, il y eut cette sacrée correction sur Monaco, 4-1 sans appel. Ensuite, plusieurs matchs probants.

Sagnol avait donc une certaine « science tactique ». Et s’il en avait, il fallait donc qu’il parle, qu’il partage cette  » science  » au commun des mortels que nous sommes. La parole de Willy Sagnol, ce saint à la patte magique, est devenue un trésor médiatique que l’on s’arrache. Mais, c’est bien là que les médias ont commis une erreur. Car, avant la malheureuse déclaration de Sagnol sur le  » Joueur africain typique  » (JAT), l’actuel entraîneur de Bordeaux donnait des indices d’un certain  » égarement verbal « , là aussi, typique (EVT).

Il s’est tout d’abord emporté contre un arbitre en des termes très négatifs, on s’en souvient, monsieur Tony Chapron en avait été la victime. Sagnol signalait que monsieur Chapron devait  » faire de la danse ou du patinage artistique « . Pour ce qui du machisme, il est clair que Willy Sagnol n’est pas en reste.

Oui, vous nous avez surpris, monsieur Sagnol. Moi et aussi Thuram, votre ancien coéquipier. Je ne m’étendrai pas trop, monsieur Sagnol, car je dois préparer une leçon pour mercredi matin, ce qui est bien plus important que de ressasser vos mots contre le « JAT », mais voilà, je vous laisse un petit souvenir de Thierry Roland, paix à son âme…

Jamais un individu n’aura autant mérité cette inoubliable envolée lyrique de Thierry Roland lors d’un France-Bulgarie… jusqu’à aujourd’hui : « Alors ça, je n’ai vraiment pas peur de le dire, monsieur Sagnol, vous êtes un salaud! ».

 

 

 

 


Burkina Faso : une thérapie pour un coeur sensible

« Le président du Burkina Faso ‘Blazé’ Compaoré a quitté son palais… ». La présentatrice du Journal de Globo News a eu du mal à prononcer le prénom de l’ex-président du Burkina Faso. Encore un pays africain qui se donne en spectacle aux yeux du monde. 

Je suis un si grand pessimiste qu’un des amis m’a dit aujourd’hui que je n’étais pas un patriote. Je ne discute plus face à ce genre d’argument, car j’ai bien compris qu’il ne peut y avoir une seule manière de vivre son patriotisme ou son nationalisme. Le mien passe par la critique. Sans concessions. Toujours prêt à reconnaître les avancées, s’il y en a.

Je ne m’attarderai pas sur les récents événements qui ont eu lieu au Burkina Faso. D’ailleurs, tout observateur prudent aurait dû s’apercevoir que la « Révolution » finirait en eau de boudin… un peuple qui se révolte, un président qui s’en va tel un voleur dans la nuit, des généraux qui revendiquent le pouvoir, des capitaines (ils sont de plus en plus ambitieux en Afrique), des lieutenants qui désobéissent aux ordres parce qu’il y a de la place pour les opportunistes… combien de fois a-t-on vu cela en Afrique?

En Egypte, en Libye, au Mali et j’en passe. Les révolutions africaines engendrent leur propre « Napoléon ». Marx l’avait bien écrit dans le 18 Brumaire de Bonaparte : « l’histoire se produit toujours deux fois. Une première fois comme tragédie, une seconde fois comme une farce ». Sachant cela, j’en ai tiré mes conclusions bien avant…

Le seul mystère pour moi, dans cette « révolution » du Burkina Faso, était de savoir qui serait le « Napoléon autoproclamé ». Qui serait le farceur? Pour le coup, il semble bien que deux noms se dégagent

En tous les cas, ces événements m’ont franchement dégoûté, attristé… et déprimé. J’ai évidemment pensé au Congo et à notre propre prince, Kabila. J’ai pensé à son projet de modifier la Constitution. Je l’imagine aujourd’hui, réuni avec son cabinet de gestion de crise pour anticiper d’éventuels troubles chez nous.

Et en même temps, je me suis rendu compte que sur les réseaux sociaux, autour de moi, le monde continuait d’avancer pendant que les Africains s’occupaient de la « révolution ». Ailleurs, il était question de glaçon artisanal, de Gracepoint, d’Ebola (n’oublions pas), de Gourcuff et d’une énième rechute, du coming-out de Tim Cook…

Oui, tout cela m’a déprimé. Cependant, je suis bien obligé d’accompagner la suite des événements. Ce billet de blog, je ne l’écris pas comme une analyse de la crise au « pays des hommes intègres », je l’écris comme une thérapie personnelle, une manière d’évacuer ce sentiment de déchirement qui s’empare de mon coeur. Là où beaucoup voient l’espoir, je ne n’y vois que la honte et la souffrance interminable des Africains.

 

P.S: j’ai appris qu’un groupe de chanteurs et artistes africains avaient interprété une chanson afin de mobiliser l’opinion face au virus d’Ebola. Il m’est donc venu à l’esprit qu’en Afrique, pour combattre les épidémies, il y a plus de chansons que de politiques publiques… si les choses n’ont pas beaucoup évolué depuis l’époque où j’y vivais encore, il y en a qui se font de l’argent derrière le dos du contribuable.

 


Brésil: Seize ans sans alternance, elle est où la démocratie?

 

https://en.wikipedia.org/wiki/Politics_of_Brazil#mediaviewer/File:Congresso_brasileiro.jpg
Le siège du congrès brésilien à Brasilia / Thiago Melo / Wikimedia Commons

Le titre est évidemment provocateur, mais il interroge une dimension essentielle de la démocratie, c’est à dire celle de l’alternance au pouvoir. D’aucun se demande quelle est la valeur réelle de la démocratie brésilienne si l’on considère que le même parti politique est au pouvoir depuis seize ans. Pour les africains alors, c’est le cas de s’interroger sur la nature même de nos régimes politiques.

Après la réélection de Dilma Rousseff à la présidence du Brésil, plusieurs personnes m’ont directement interpellé sur la fragilité de la démocratie brésilienne, voire, sur sa corruption.

Premièrement, il faut dire que toute démocratie est par définition fragile. C’est justement pour cette raison qu’elle nécessite nos soins permanents. A la fin des années 1970 , Hannah Arendt rendait son verdict sur l’état de la démocratie américaine et il n’était pas des plus flatteurs. Selon elle, « l’affaire Watergate, mais surtout l’assassinat de Kennedy, avait scellé le déclin de la démocratie américaine ». Avant elle, deux décennies plus tôt, le président Dwight Einsenhower alertait ses concitoyens sur les dangers de ce qu’il fut l’un des premiers à nommer comme le Complexe militaro-industriel. Aujourd’hui, cette vision apocalyptique de la démocratie nous est plus familiaire. Ça, oui, c’est un vrai danger pour la démocratie, et on en est encore loin au Brésil.

En France, la gauche est restée au pouvoir pendant quatorze ans sous François Mitterrand. La question de l’alternance s’est-elle alors posée? Mais plus que cette dernière, la vraie question qu’il convient de se poser sur le cas spécifique du Brésil est de savoir quelles avancées démocratiques ont été possibles sous le gouvernement du Parti des Travailleurs.

Démocratie participative…

Il faut au préalable admettre que l’altenance au pouvoir ne saurait être l’ultime critère qui définisse la qualité d’un régime. Je sais, c’est un scandale de le dire comme ça… regardons simplement le Cameroun, la R.D Congo, la Lybie, le Zimbabwe, le Rwanda, et j’en passe.

Voir aussi ce dessin très à propos sur Mondoblog: le syndrome de Gollum.

Mais pour le Brésil, c’est différent. Ce pays continue d’être un immense laboratoire politique. A Porto Alegre, on ne présente plus le budget participatif qui est une forme de prise de décision collective pendant laquelle les citoyens délibèrent au sein des conseils (culture, travaux publics, éducations, santé, etc.) sur les priorités de la communauté et définissent démocratiquement l’orientation des investissements. Le Brésil est mondialement reconnu pour cela. Le Forum Mondial Social est aussi un modèle de partage largement diffusé grâce au Brésil.

Tout cela a été possible à partir du moment où les élus travaillistes ont commencé à appliquer certaines idées politiques qui accordent toute son importance à la participation.

Diminution de la pauvreté extrême

40 millions de brésiliens sortis de l’extrême pauvreté. Une redistribution des richesses encore inégale mais qui change radicalement la vie des gens, faut-il le rappeler. L’héritage social du PT est incommensurable. N’eût été cela, jamais Dilma Rousseff n’aurait été réélue. Le vote a été essentiellement utilitariste et économique.

C’est donc vers ces avancées sociales et démocratiques qu’il faut regarder pour juger le bilan du gouvernement PT.

« Le pouvoir corrompt… »

L’enseignement de Lord Acton qui dit que « le pouvoir corrompt. Le pouvoir absolu corrompt absolument » n’est pas à prendre à la légère, mais de là à en conclure que le Brésil a regressé en termes démocratiques est s’avancer un peu vite. La démocratie brésilienne existe depuis maintenant vingt cinq ans, sans interruption, ce qui en fait une démocratie consolidée. De plus, le pays suffisamment démontré sa capacité d’innover et produire de nouvelles formes de participation politique.

En ce qui concerne l’opposition, celle-ci est déjà majoritaire au sénat; les sièges au parlement sont presque repartis équitablement entre la base alliée au pouvoir et les partis de l’opposition, si bien que le candidat perdant des élections Aécio Neves n’a pas contesté un seul instant les résultats.

Bien plus que l’alternance au pouvoir, c’est la culture démocratique qu’il faut relever dans ce cas. Une opposition politique qui trouve son espace pour s’organiser librement et proposer ces préférences politiques, une justice indépendante, des médias libres – mais pas nécessairement des « bons » médias…

Pour toutes ces raisons, je peux affirmer que la démocratie brésilienne se porte bien, contrairement à la majorité de nos pays africains. Reste maintenant à la droite de s’organiser en tant que droite républicaine et démocratique (je vous suggère de lire aussi les commentaires sur l’article). Voilà qui n’est pas gagné…

Vous pouvez me suivre sur Twitter @sk_serge

 


Au Brésil, un «Vote critique» pour Dilma Rousseff

C’est une amie professeure d’université qui a  bien résumé le sens de cette élection présidentielle brésilienne : « Mon vote pour Dilma Rousseff est un vote critique, mais convaincu » a-t-elle affirmé. Ce témoignage reflète une idée assez généralisée selon laquelle le mieux pour le Brésil est d’avancer avec les politiques sociales tout en réduisant la corruption. Mais c’est aussi un vote convaincu que la droite ne fera pas progresser le pays.

51, 45 %, verre à moitié plein ou à moitié vide?

C’est ainsi qu’il faut comprendre les résultats de cette présidentielle où Dilma Rousseff a récolté 51, 45 % des voix au terme d’un campagne électorale âpre. On peut aussi voir ces résultats en se rappelant l’image du « verre à moitié vide, ou du verre à moitié plein ». Est-ce Dilma Rousseff qui a remporté ce scrutin ou est-ce Aécio Neves qui l’a perdu ? Faut-il penser que 50 millions des Brésiliens ont rejeté leur présidente ou que ce sont les 50 autres millions qui lui témoignent leur soutien ? Cela prend vite des allures du débat sur l’oeuf et la poule. Donc, passons…

Disons cependant, en toute honnêteté que le Brésil est encore un grand chantier. Une autre amie me demandait si « 50 % des Brésiliens détestaient vraiment Dilma Rousseff ». Ce à quoi je répondis avec une certaine ironie : « Oui, les riches! ». Mais l’ironie est à prendre au sérieux. Car si l’on observe la cartographie de cette victoire du Parti des travailleurs (PT), on se rend compte que c’est dans les Etats les plus pauvres que Dilma Rousseff a été massivement réélue, sauf à Rio de Janeiro et à Minas Gerais (l’État du candidat Aécio Neves). Il convient tout de même de relativiser le mot « pauvre »; car la majorité des Brésiliens accède aujourd’hui à la classe moyenne.

Cela montre aussi que même si le PT  a réussi à faire sortir 40 millions des Brésiliens du seuil de pauvreté – « une Argentine tout entière », selon une heureuse formule de Dilma Rousseff elle-même – , ces électeurs ne se sentent plus redevables vis-à-vis du gouvernement travailliste. Celui-ci devra donc retrouver ses valeurs perdues à un certain moment de l’histoire, lorsque le PT est devenu une machine électorale, un appareil de guerre programmé pour gagner les compétitions électorales. Le PT doit redevenir un parti de gauche.

Le Brésil est plus que jamais divisé. Je n’avais jamais senti autour de moi une telle tension. Il est vrai qu’à un certain moment, tout cela devenait inquiétant, tant et si bien que la justice électorale a exigé des candidats de polir leurs discours pendant cette campagne pour éviter les débordements. Faut-il rappeler que lors de la dernière semaine de campagne, la revue Veja qui avait incendié la campagne avec sa  » Une assassine  » a vu ses locaux être vandalisés par des électeurs d’extrême gauche choqués…

Aécio Neves devra résister à une guerre interne

Aécio Neves ne sort pas tout à fait grandi de cette élection. Le candidat perdant ne s’est pas facilement imposé au sein de son parti où il a dû faire face, pendant des années, à une forte résistance des  » vieux loups « , l’arrière-garde qui a lutté contre le régime des militaires : José Serra, élu sénateur pour São Paulo; Geraldo Alckmin, gouverneur réélu à São Paulo. Ces deux personnalités établies de la scène politique brésilienne voudront se présenter en 2018. Ils ont vu que le PSDB (Parti social-démocrate brésilien) s’était rapproché du pouvoir, mais qu’ Aécio Neves n’avait pas saisi sa chance.

Les prochaines années risquent donc de voir éclater une guerre interne au sein même du parti social-démocrate; une lutte fratricide en vue de la présidentielle de 2018. De mon point de vue, Geraldo Alckmin est le plus qualifié pour se présenter sachant qu’en 2006, il avait perdu de peu face à un Lula da Silva accablé par le scandale du Mensalão.

Le changement, c’est maintenant?

Cette campagne a aussi révélé les failles de l’Etat brésilien. Pendant la campagne, le thème de la corruption est exhaustivement revenu au centre des débats. Dilma Rousseff doit donc agir en conséquences. Le PT ne doit plus tolérer certaines pratiques afin de redonner confiance à un électorat qui ne cesse de lui glisser entre les doigts. La corruption est culturelle au Brésil comme l’explique le correspondant de Folha de São Paulo dans les colonnes du New York Times. La santé publique constitue également un énorme chantier. J’ai gardé en réserve cette photo qui illustre bien le drame des pauvres pour accéder aux soins médicaux. Pour un examen de routine, une amie a dû attendre un an et un mois avant d’avoir un rendez-vous avec son médecin. Et ça, le PT n’a rien fait pour changer cette situation.

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La première femme réélue présidente du Brésil devra donc s’engager sur plusieurs chantiers, les quatre grandes réformes essentiellement:

Réforme politique

Il s’agit ici d’un organigramme structurant qui crée beaucoup de difficultés en termes de gouvernance. Le Brésil est un pays fédéral où le président ne peut gouverner sans une majorité clairement définie au Parlement. Or, les accords politiques se font généralement après la tenue des élections avec le détail aggravant qui veut que la conjoncture politique au niveau des Etats n’a aucun effet sur l’ élection présidentielle. Ce qui fait qu’un parti de centre droit comme le PMDB privilégie les élections locales en espérant entrer dans le gouvernement fédéral quelque soit le vainqueur. On voit aussi régulièrement un candidat de gauche proposer comme vice-président un néolibéral : ce fut le cas pour Lula da Silva, mais aussi pour Marina Silva (soutenue par les banques). Une réforme politique mettrait fin aux alliances contre nature et redonnerait du crédit aux partis politiques auprès des électeurs qui ne s’y retrouvent plus.

Un exemple est assez révélateur. Dans l’Etat de Paraíba où je vis, l’actuel gouverneur (PSB, parti de Marina Silva et Eduardo Campos) a soutenu la candidature de cette dernière au premier tour qu’il a perdu contre un candidat de droite. Au deuxième tour, cependant, il a clairement appuyé Dilma Rousseff (Marina Silva n’étant plus dans la course) et a été réélu avec 52 % des voix.

Réforme tributaire

Je ne sais pas dire quelle est la réforme la plus difficile. Mais je tends à croire que celle-ci sera plus acceptable pour les entreprises et les grands patrons qui ne cessent de se plaindre tu coût trop élevé des investissements au Brésil, le fameux « custo Brasil » qui fait fuir les investisseurs. Dilma Rousseff a donné un signal fort en cette direction en annonçant le remplacement de son ministre des Finances Guido Mantega. Avec une réforme tributaire, le Brésil se rapprocherait ainsi d’une politique économique plus libérale. La question est de savoir si  » le social  » en souffrira et quel en sera le prix électoral?

Réforme agraire

Celle-ci est plus difficile. Peut-être même impossible tellement les conséquences seraient trop sévères pour une élite économique séculaire. On sait qu’un président du Brésil avait précipité le coup d’Etat militaire en 1964 pour avoir proposé, entre autres raisons, une réforme agraire, mesure populiste selon l’élite agricole et les militaires. Si Lula da Silva n’ y est pas parvenu, rien ne me laisse croire que Dilma Rousseff puisse y arriver. Cela veut dire aussi que la question de la démarcation des terres des indigènes d’Amazonie n’évoluera pas et que les inégalités de richesses augmenteront.

Réforme médiatique

La « Une assassine » de Veja, la campagne électorale menée par les grands networks – les chaînes de télévision nationale – contre Dilma Rousseff, ont encore une fois démontré la nécessité d’une réforme médiatique. Les Brésiliens ont le droit d’avoir accès aux sources d’informations alternatives, l’information ne pouvant plus être la propriété de cinq familles qui la manipule selon leurs intérêts.

La démocratie brésilienne en dépend sensiblement. Cette réforme a été possible en Argentine. Mais les forces médiatiques au Brésil sont autrement plus puissantes et organisées. Il ne sera donc pas facile d’y faire face. Cependant, le gouvernement du PT doit renforcer le développement d’Internet dans tout le pays afin de permettre un accès plus libre et démocratique à l’information.

Un exemple pour vous en convaincre. Une heure après la publication des résultats de la présidentielle, les networks diffusaient des émissions d’entertainement. C’est dire la complète dépolitisation dont sont victimes un grand nombre de Brésiliens.

PS : Terminons avec une note un peu plus drôle tout de même, car aujourd’hui est un jour de fête. Une fête démocratique. Aécio Neves qui s’est fait remarquer lors des débats pour son ton agressif envers les femmes candidates était loin de se douter que le mot « leviana » [désinvolte] , trop souvent employé contre celles-ci – ce qui lui a valu d’être accusé de machisme -, remettrait à la mode un ancien hit du même nom… du côté des électeurs de gauche, notamment sur les réseaux sociaux, la chanson de Reginaldo Rossi fait un tabac…

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